Trois photos de soldats allemands dans le bourg de Rânes en juillet 1940
Dans le livre
Ils étaient là! - 1940-1944 - L'Occupation vue par l'occupant en Basse-Normandie, par Olivier Sierra, Orep Éditions, 2014, pages 73 à 75.
Nous n'avons pas obtenu de l'auteur l'autorisation de reproduire ces clichés.
Légendes des photos:
-
page 73. Rânes (Orne), juillet 1940: un groupe d'officiers
converse sur la place. On aperçoit l'entrée du
château en arrière-plan.
- page 74. Rânes
(Orne), juillet 1940: des officiers et leurs hommes se regroupent sur
la place, entre l'église et le château.
[Le drapeau
nazi à croix gammée flotte sur le tour du château.
L'officier qui figure au premier plan est le même que sur la
photo précédente, page 73].
- page 75. Rânes (Orne), juillet 1940: une compagnie allemande se rassemble près de l'église.
Les
divisions allemandes en
Basse-Normandie pendant l'Occupation
[...] La première phase [de
l'Occupation], entre l'été 1940 et le printemps
1941, est marquée par
l'arrivée massive puis par l'installation sur place
d'importants contingents de
divisions d'opération. Notons tout d'abord que la population
bas-normande est
surprise par la relative correction des soldats allemands, en regard
des rumeurs
propagées à leur sujet, notamment par les
réfugiés, les décrivant comme des
barbares, brûlant et pillant les villages. A leur
arrivée, on se rend
rapidement compte qu'il n'en est rien.
[...] Dès l'été 1940, l'occupation
allemande en Basse-Normandie est très dense. Au mois
d'août, huit divisions
d'infanterie au total cantonnent dans la région, soit
près de 130 000 soldats
qu'il faut nourrir et loger [
Note
: Selon la date de formation, une division allemande d'infanterie du
début de
la Seconde Guerre mondiale regroupe entre 15 000 et 18 000 personnes].
[...]
Dès la fin de l'été 1940, le mode
d'occupation de la Basse-Normandie connaît
de nouveaux changements. En effet, avec l'échec de la guerre
aérienne menée
par la
Luftwaffeoutre-Manche,
les
projets de débarquement en Angleterre sont
annulés par Hitler au mois de
septembre 1940. Entre septembre et décembre, les effectifs
allemands présents
en Basse-Normandie diminuent alors de moitié,
délestant ainsi l'espace occupé
bas-normand dans le but de faciliter le ravitaillement et le logement
des
troupes. Les divisions quittant la Basse-Normandie s'installent alors
dans
d'autres régions de la France, ou dans les autres pays
vaincus par l'Allemagne,
comme par exemple les Pays-Bas ou la Pologne, afin de passer l'hiver
dans les
meilleures conditions.
[...] Dès le mois de février 1941, de nouvelles
troupes quittent pourtant la Basse-Normandie: ce sont les premiers
signes
montrant que l'état-major allemand prépare de
nouvelles opérations, situées
cette fois à l'Est de l'Europe. La 170e division
d'infanterie quitte le
Calvados pour la Roumanie, alliée de l'Axe. Un mois plus
tard, c'est au tour de
la 6e division d'infanterie, stationnée jusque là
dans la Manche, de prendre
le chemin de l'Est. Enfin, au mois d'avril, la 57e division
d'infanterie quitte
Thury-Harcourt pour la Pologne. Toutes ces troupes se trouvent alors
engagées
dans le gigantesque front finalement ouvert le 22 juin 1941.
[...] En
mai 1941, trois divisions seulement sont
installées dans la région. Mais
le haut commandement allemand comble rapidement la brèche
créée dans le
dispositif d'occupation de la Basse-Normandie. Dès le
printemps, l'armée
allemande procède en effet à la
création de nouvelles divisions,
s'appuyant sur une mobilisation de couches toujours plus larges de la
population
allemande. Contrairement aux premières troupes
arrivées sur place, ces
nouvelles divisions se caractérisent par une moyenne
d'âge des soldats plus
élevée. Beaucoup d'engagés sont
pères de famille, on y trouve des gens de
culture: professeurs, avocats, et autres professions
littéraires. Cette
différence notable dans la composition des nouvelles troupes
a son importance
dans les relations avec la population.
Entre avril et juillet 1941, la
Basse-Normandie voit ainsi s'installer quatre divisions [
Note
: Il s'agit des 323e, 332e, 711e et 716e divisions d'infanterie,
installées
respectivement à Caen, Coutances, Le Quesnay et
Villedieu-les-Poëlles
(Manche)], non plus d'opération, mais plus directement
d'occupation, plus
statiques car beaucoup moins motorisées. De juillet 1941
à mars 1942, les deux
tiers des forces occupantes en Basse-Normandie sont des divisions
nouvellement
constituées.
[...] Entre juillet et novembre 1941, la Basse-Normandie est
occupée de manière continue par les six divisions
d'infanterie suivantes: la
83e, la 216e, la 323e, la 332e, la 711e et la 716e.
[...] Entre novembre 1941
et février 1942, l'effectif des soldats allemands
stationnés en
Basse-Normandie est ainsi divisé par deux. Dès
décembre 1941, de nouveaux
contingents quittent en effet la région en direction de
l'Europe de l'Est. Si
les divisions expérimentées partent les
premières, celles initialement
constituées au printemps 1941 pour servir de forces
d'occupation en
Basse-Normandie se voient également mobilisées
vers l'Est. Le séjour en
Normandie leur avait servi d'entraînement et de
préparation au combat.
Le
mouvement des départs dure alors jusqu'au mois de mars 1942
quand la 323e
division d'infanterie quitte, après tout juste un an de
présence, la ville de
Caen pour se diriger vers le sud de la Russie. La
Basse-Normandie connaît
alors deux mois de très faible occupation, puisque trois
divisions seulement
restent installées dans la région. Cette
période marque la fin de la
deuxième phase de l'occupation allemande en Basse-Normandie.
[...] La
troisième phase d'occupation est marquée
à la fois par une augmentation de
l'effectif des troupes stationnées en Basse-Normandie et par
une
diversification des troupes présentes. Les raisons de ces
changements sont
doubles: d'une part, de nouvelles divisions sont constituées
dans la région,
et d'autre part, des unités souvent
éprouvées, voire quasiment détruites,
arrivent en Basse-Normandie pour être
recréées.
La région reste donc
toujours une aire de constitution et d'entraînement de
nouvelles divisions.
Entre mars 1943 et février 1944, quatre nouvelles divisions
sont formées sur
le territoire bas-normand. Mais contrairement à celles
créées à l'été
1941, elles restent sur place jusqu'au Débarquement du 6
juin 1944.
L'accroissement
des effectifs stationnés en Basse-Normandie
résulte surtout d'un autre
phénomène, à savoir celui de la mise
au repos d'unités exténuées par les
combats sur le front russe. Ainsi, entre avril 1942 et octobre 1943,
neuf
divisions allemandes arrivent dans la région, dont la
moitié en provenance
directe du front de l'Est. Le séjour est plus ou moins long:
si pour certains,
le cantonnement en Normandie ne dépasse pas la
durée d'un mois, d'autres
restent beaucoup plus longtemps. Ainsi, la 389e division d'infanterie
passe cinq
mois dans le Sud-Manche, entre mars et juillet 1943. Le terme de
"récréation" est ici particulièrement
adapté, puisque cette
division blindée a subi d'importants dégats dans
la bataille de Stalingrad.
Après la convalescence de ses soldats, la
réparation du matériel restant et
la formation de nouvelles recrues, la division est mobilisée
de nouveau, en
direction du Dniepr.
La présence allemande en Basse-Normandie est
particulièrement dense pendant l'hiver 1942-1943: un pic est
atteint au mois de
décembre avec huit divisions allemandes présentes
dans la région. La saison
hivernale suivante connaît également une forte
présence de divisions
allemandes, au nombre de sept en novembre 1943. Ce
phénomène peut s'expliquer
par un climat régional relativement doux en hiver, ainsi que
par des ressources
en nourriture plus abondantes par rapport à d'autres
régions de l'Europe,
favorisant le repos des troupes.
Il est également à remarquer, pour cette
troisième phase de l'occupation allemande en
Basse-Normandie, que le nombre de
divisions présentes dans la région ne descend
plus en dessous de cinq à
partir de septembre 1942.
[...] Avec la perspective d'une invasion alliée en
Normandie qui se précise de jour en jour, le haut
commandement militaire
allemand réagit dans le sens d'un renforcement de la
défense des côtes.
[à
partir de novembre 1943] Cette nouvelle politique de défense
de l'Ouest se
traduit surtout par la construction d'un grand nombre
d'édifices à caractère
défensif tout au long de la côte de la Manche,
décuplant ainsi
considérablement les réquisitions de
main-d'oeuvre et de matériel auprès de
la population civile.
Cependant, malgré cette nouvelle politique, le nombre
de divisions allemandes stationnées en Basse-Normandie ne
croît guère. Les
changements dans la composition du corps occupant sont pourtant
réels, mais il
faut observer la composition même de chaque division
afin de les
identifier.
En effet, un certain nombre de régiments sont
détachés de
leurs divisions et réintégrés dans
d'autres, situés sur le front oriental.
La brèche ainsi créée dans le
dispositif d'occupation en Basse-Normandie est
comblée par l'arrivée de bataillons
formés de soldats étrangers: les
Osttrupppen.
Ce changement dans la composition interne des divisions allemandes se
répercute
sensiblement sur l'image que se font les civils de l'armée
allemande.
La
population bas-normande souffre particulièrement du
comportement spécifique de
ces nouvelles troupes. Certaines d'entre elles ont
très peu de points
communs avec celles qui sont stationnées dans la
région depuis quelque années
déjà, et auxquelles on s'est finalement plus ou
moins habitué.
Une partie
de ces nouvelles unités sont ce que l'on appelle des
"bataillons de
peuples étrangers" (
fremdvölkische
Bataillone), recrutés notamment en Ukraine, en
Russie, en Géorgie ou
encore au Turkestan. Ces
Osttruppen,
les "troupes de l'Est", plus officiellement appelées les
"unités de volontaires" (
Freiwilligen-Verbände),
ont été intégrés dans les
rangs de la
Wehrmacht
pour remplacer les 240 000 soldats allemands perdus dans la
bataille de
Stalingrad.
[...] Les unités étrangères arrivent
en France à la fin de
l'automne 1943. Elles sont affectées à la
défense des côtes normandes et
bretonnes. Loin de leur patrie, les soldats des
Osttruppen
effraient la population civile par les traits exotiques de leurs
visages:
rapidement, on les appelle "Mongols" ou "Tartares".
Leur
nombre aussi est impressionnant: depuis 1943, entre 60 et 80 bataillons
étrangers participent à la défense des
côtes de la Manche. Leur nombre est
particulièrement important dans les derniers mois de
l'occupation. Ainsi, en
mars 1944, on dénombre quelques 24
Ost-Bataillonne
sur le seul territoire de la 7e armée.
[...] La
Wehrmacht
doit aussi composer avec des soldats italiens. Ainsi 192 Transalpins se
portent
volontaires auprès de le 716e division d'infanterie le 24
octobre 1943.
[...]
Même dans les unités
SS, qui au
début de la guerre étaient si exclusivement
réservés aux Allemands, on
accueille des étrangers: en effet, à partir de
l'été 1943, un soldat
SS
sur trois n'est pas de nationalité allemande.
[...] Le nombre de divisions
allemandes stationnées en Basse-Normandie ne commence
véritablement à
croître qu'à partir du mois de mars 1944. Quatre
divisions supplémentaires
sont alors installées dans la région, portant le
nombre de divisions
allemandes présentes en Basse-Normandie à la
veille du Débarquement à un
total de dix, soit un effectif de 60 000 à 70 000 hommes
dans le département
du Calvados, ainsi que 35 000 soldats dans la Manche.
Conclusion
[...]
Entre la mi-juin 1940 et la veille du Débarquement, 38
divisions allemandes se
succèdent dans l'occupation de la Basse-Normandie. Si dans
les premiers mois,
l'essentiel des troupes est constitué de divisions
d'opération, celles-ci
cèdent bientôt place à des
unités plus à proprement parler d'occupation. La
situation change radicalement au cours du printemps 1942, quand des
divisions
revenant du front de l'Est s'installent dans la région et
ouvrent ainsi le bal
des allées et venues incessantes entre les fronts et la
France occupée. Ce
n'est qu'au printemps 1944, face à la menace imminente d'un
débarquement
allié sur les côtes françaises, que le
haut commandement militaire allemand
prend la décision de diriger des divisions
supplémentaires vers la
Basse-Normandie.
Extraits
de : Valentin
Schneider,
Les
divisions allemandes en
Basse-Normandie pendant l'Occupation: étude quantitative et
qualitative (19
juin 1940 - 5 juin 1944). Caen:
Annales
de Normandie, n° 5, décembre 2005. pp.
427-458.
Les
heures sombres de l'Occupation - 1940-1945
Il
n'est guère aisé d'écrire en ces
quelques lignes le récit de cinq années
d'occupation et d'en recréer l'atmosphère.
Dès la fin du mois de Mai 1940,
Rânes avait vu passer le flot des
réfugiés des régions du Nord et de la
Belgique avec son cortège de misères et de
détresses.
Le Lundi 17 Juin,
vers midi, jour où le Maréchal Pétain
prononçait à la radio la première
allocution annonçant un prochain armistice [
le
discours du fameux "je fais à la France le don de ma
personne pour
atténuer son malheur"], deux petits tanks
amphibies, venant par
Vieux-Pont, éléments légers des
avant-gardes allemandes, furent les premiers
à occuper notre localité. D'importants
contingents de la Wermacht y
demeurèrent tout l'été, envahissant
maisons du bourg et fermes des villages.
Pendant
les années qui suivirent, des éléments
isolés ou des petites formations s'y
succédèrent: infanterie, services divers de la
cartographie, troupes au repos
avant le départ pour le front russe, parachutistes de
Crète au repos au
château (passés un jour en revue par le
maréchal Goering pendant que toutes
les issues du bourg étaient gardées et les
habitants consignés), ateliers de
réparation, parc automobile (un officier autrichien
francophile de cette
formation nous évite à plusieurs reprises les
vexations des SS de passage).
Les
réquisitions de toutes sortes furent monnaie courante:
billets de logement,
transports d'isolés, livraisons de bêtes
à corne et de chevaux, sans oublier
la raffle des moyens de transport au moment de la
débâcle allemande vers la
trouée de Chambois.
La jeunesse ne fut pas épargnée: plusieurs noms
furent
tirés au sort, exigence de la prétendue
"organisation du travail" et
les requis furent envoyés aussitôt sur la
côte pour participer à la
construction du "Mur de l'Atlantique".
L'organisation Todt avait
également un bureau permanent route de La
Ferté-Macé.
Rânes abrita de
côté et d'autre, de nombreux
réfractaires à ce même service du
travail
("S.T.O."), lesquels avaient préféré
choisir la liberté dans la
clandestinité que l'accroissement des effectifs ouvriers
dans les usines
allemandes ou dans celles qui travaillaient pour eux. Une
conséquence heureuse
et inattendue: l'excellent comportement à ce moment et le
dynamisme des
équipes sportives locales augmentées
d'éléments réfractaires au travail.
La
"Garde des Voies de Chemin de fer" était de rigueur aux
Yveteaux sous
la responsabilité du charron de Lougé, M.
Maingot; (véritables expéditions
le soir où l'on partait la musette bien garnie... et retour
au petit matin). La
garde des lignes téléphoniques à
Ste-Marie-la-Robert fut instituée quelques
mois avant le débarquement allié.
"L'Aide à nos Prisonniers" fut
active sous l'impulsion de Mmes Cl. Richard et Lefèvre, de
Charles Sérée (un
des derniers sabotiers, un des premiers prisonniers rentré
au titre de la
relève [
on
peut voir son magasin dans le film
tourné par les américains lors de la
libération du village]), de
M. l'abbé Ruel [
qui
fut tué le 14 Août 1944
lors des bombardements du bourg]. Chaque semaine de
nombreux colis
étaient confectionnés dans un des pavillons du
château, celui de la poste
actuellement, puis, acheminés vers les lointains stalags
apportant réconfort
moral et matériel à tous. Certains prisonniers
(classe 35 en particulier les
frères Préel des Noës) ne devaient
rentrer au pays qu'après sept ans
d'absence.
Notre village, au coeur du Bocage, fut un havre de salut pour les
citadins; que de colis de beurre sans tickets partaient journellement
de la
petite poste! Que d'allées et venues furent faites par ceux
pour qui le pain
quotidien était un problème vital! Chaque ferme
avait ses habitués et même
des relations d'amitié s'établirent alors.
Certaines familles ont gardé
l'habitude de revenir à la période des vacances
à Rânes ou dans les
environs.
C'est à Rânes, à la
Forêterie, que fut créé le centre du
courageux Réseau de Résistance (Plan Tortue),
animé par J. Foccart,
actuellement [
en 1966]
Secrétaire
d'Etat à la Communauté.
Un travail efficace, soutenu, souvent difficile et
périlleux, se fit à l'abri de toute
indiscrétion dès 1941 [
la
date du début de la résistance à
Rânes est controversée; voir les
références données ici].
On ne comprit que plus tard la mission de l'avion mystérieux
qui, souvent vers
minuit, survolait le secteur, pour effectuer les parachutages
indispensables. Le
réseau fut démantelé cruellement aux
mois de Mai et Juin 1944 par la Gestapo,
aidée par les sinistres Jardin et Neveux: plusieurs membres
furent arrêtés,
torturés, emmenés et la plupart moururent en
déportation.
Pour perpétuer
le souvenir de leurs sacrifices, la Commune a inauguré le 9
Mai 1965, une
plaque commémorative apposée sur le monument aux
morts, où sont gravés les
noms de ceux qui surent souffrir pour notre liberté.
Au milieu du mois de
Juin 1944, Rânes vit passer par le bourg les nombreux
réfugiés de la plaine
de Caen, évacués d'office et qui avaient
dû tout abandonner.
Le groupe
local du "Secours National" avait organisé, avec le concours
de
toutes les bonnes volontés, un centre
d'hébergement, une cantine et un centre
de soins.
On a encore en mémoire les grands plateaux des charrettes
à foin,
les carrioles partant au petit matin pour l'étape suivante
(Joué-du-Bois) et
vers la Mayenne, lieu de repli de tous ces infortunés.
Rânes Monographie
réalisée par le syndicat d'initiative de
Rânes en Mars 1966. Document
présenté dans le cadre de l'émission
"Bonjour Monsieur le Maire"
sur Europe 1.
Le rationnement, la hausse des prix
et leurs conséquences
Pour l'ensemble de la population rânaise un
système de tickets de rationnement est mis en place pour
tous les produits de première
nécessité. Ainsi la
viande, le lait, les œufs, le blé, le sucre...
mais aussi les chaussures, le savon, l'huile et d'autres produits tels
que l'essence sont contingentés.
Selon Pierre Lemière, les problèmes de
rationnement existaient à Rânes mais le fait de se
trouver à la campagne limitait leur importance. On ne
manquait pas de viande : il suffisait de tuer un cochon, un veau ou des
volailles et se les partager ensuite avec les autres hameaux. Pour le
bourg, nous avance Simone Guillouard, le rationnement était
plus pesant. La principale difficulté fut le ravitaillement
en pain. Sur ce point, il semble bon de s'appuyer sur le
témoignage de Suzanne Mourez, la fille du boulanger Duval. "
Au début de
l'occupation, il y avait des dépôts de pain
à Lougé-sur-Maire, Vieux-Pont, Saint-Brice et
à Saint-Georges-d'Annebecq où un agriculteur
venait prendre la livraison de pain pour sa commune à
Rânes. Les autres dépôts
étaient pourvus par Monsieur Duval en voiture. Avec le
contingentement de l'essence cela n'était plus possible.
Bien qu'ayant acheté un gazogène, les communes
les plus éloignées ne pouvaient plus
être approvisionnées et durent s'arranger toutes
seules. A cela, l'absence d'ouvriers qualifiés retenus en
Allemagne ne favorisait pas l'économie du village. N'ayant
plus de main-d’œuvre
expérimentée, André Duval fut
obligé de faire appel à des jeunes. Il en
résulta que de nombreuses "fournées" furent
ratées. Le travail du boulanger ne s'arrête pas
là, il faut aller chercher la farine, elle aussi
contingentée, dans des dépôts,
à laquelle il faut ajouter bien souvent de la farine obtenue
en fraude. Le pain que l'on obtenait était de
qualité moyenne en raison du mélange de la bonne
et de la mauvaise farine." Aux contraintes
matérielles s'ajoutent les contraintes climatiques. Il ne
faut pas oublier que la Normandie a connu quelques hivers
très durs, causant de mauvaises récoltes en
blé et par conséquent une pénurie de
farine.
Sur les marchés, 1940-1944 est également une
période de forte inflation en raison d'une baisse de l'offre
par rapport à la demande. Certaines personnes ne peuvent
plus faire face. En milieu rural comme à Rânes,
plutôt que d'acheter ou de vendre sur le marché,
les habitants préfèrent échanger leurs
produits. Dans les villes, la situation n'est pas la même car
on ne produit pas de viande ou de légumes. Pour se nourrir,
ils ne disposent que des rations délivrées
grâce aux tickets, c'est-à-dire peu. Ils ne
peuvent pas acheter sur le marché, les prix y
étant souvent trop élevés ou les
produits trop rares. C'est à cette époque que la
population urbaine viendra s'approvisionner directement à la
campagne. Certaines personnes du bourg qui auraient pu souffrir du
rationnement assurent que les paysans étaient loin
d'être des profiteurs vis-à-vis des
étrangers au monde agricole. Madame Mourez se rappelle
cependant que certains agriculteurs, ils n'étaient pas en
majorité, préféraient vendre aux
étrangers plutôt qu'à des personnes de
la commune pour ainsi avoir plus de bénéfices. Il
semble certain que les paysans réussirent à
vendre leurs marchandises, ce qu'ils n'avaient pu faire auparavant,
nous avoue Simone Guillouard. Peut-être fait elle allusion
à la crise des années 1935-1936, qui toucha
très durement le milieu agricole normand.
Si les agriculteurs réussissent à vendre leurs
produits, peut-on convenir d'un éventuel marché
noir ? "
Il y a des gens
qui se sont permis de faire du marché noir. Ils vendaient
leurs marchandises le double, voire le triple de leur valeur. A
Rânes, ce trafic ne semble pas avoir vu le jour [...] Il y
avait des gens qui venaient sur place pour faire des provisions et les
paysans rânais vendaient au prix du marché... ou
peut-être un peu plus, mais ce n'était pas du
marché noir." De son côté
Simone Guillouard, alors institutrice à Rânes,
souligne qu' "
il n'y a
pas de Rânais qui amassèrent visiblement beaucoup
d'argent de manière suspecte", et ajoute que "
sur une population de 1200
habitants, cela se serait vu." Pourtant Suzanne Mourez
n'est pas aussi affirmative ; selon elle certains exploitants auraient
profité de la période d'occupation pour remettre
en ordre leur ferme ou rembourser leurs dettes en vendant leur beurre
et leurs œufs à des gens de la ville
plutôt qu'au boulanger de Rânes qui en avait la
nécessité pour fabriquer son pain. Aussi peut-on
supposer en s'appuyant sur les différents
témoignages que si Rânes connut un
marché noir, ce fut l'œuvre d'une
minorité qui sut ne pas trop attirer l'attention sur elle.
De plus on peut supposer, d'après les témoins,
qu'ils n'ont pas amassé de fortune colossale.
Durant ces quatre années de guerre, de nombreux habitants
envoyèrent gratuitement des colis, souvent par
l'intermédiaire d'aumôniers ou de membres de la
JAC de Paris, à des parisiens nécessiteux. Comme
le dit Pierre Lemière : "
On
ne les connaissait même pas." Est-ce
là un discours de profiteur ?
On voit à ce moment des personnes qui se rappellent
soudainement qu'ils ont un "cher" parent ou ami qui habite à
la campagne et que l'on n'a pas vu depuis longtemps. C'est l'occupation
qui révélera les véritables
caractères des gens : les lâches, les hypocrites,
les accapareurs mais aussi les gens sincères et
prévenants. Elle aussi qui réveille chez certains
le goût du "système D" pour parer aux contraintes
de la pénurie. Ainsi pour faire face à certains
manques, des produits de substitutions sont apparus : la mixture d'orge
remplace tant bien que mal le café tandis que le pastis est
fabriqué à base de "Calvados". Le savon,
indispensable pour laver le linge, est remplacé par de la
cendre.
Finalement, le rationnement toucha l'ensemble des Rânais sans
pour autant les empêcher de vivre. Cependant on peut ajouter
que les restrictions se faisaient plus vives à mesure que
les années d'occupation s'écoulaient. Aussi,
même s'il y eut du marché gris, les gens de
Rânes dans la majorité ont fait preuve d'une
certaine entraide. Celle ci se manifesta davantage dans l'aide
apportée aux prisonniers et à leurs femmes
restées seules pour l'exploitation.
Extrait
de : Jean-Philippe Bignon,
Rânes pendant la
seconde guerre mondiale
Mémoire (Histoire), Université de Caen, 1994. pp
13-15
La vitalité de la
commune
de Rânes
Pendant ces années de guerre, on a constaté
beaucoup d'entraides. Cet aspect joua un rôle important dans
l'essor de la vitalité de Rânes, cela rapprochait
les gens. A côté de cela, le nombre important de
jeunes y apporta un second souffle qui allait s'éteindre
avec la mise en place du STO.
Beaucoup de jeunes souhaitant bien faire...
Dès 1939, les jeunes seront mis à contribution :
les femmes de soldats puis de prisonniers sollicitèrent une
aide pour mener à bien leur exploitation. De leur
côté, les artisans devaient remplacer les ouvriers
qualifiés partis en Allemagne. De plus, c'est cette jeunesse
importante, nous dit Suzanne Mourez, qui apporta la gaieté
dans la commune.
Un des moteurs de cette jeunesse fut la JAC (Jeunesse Agricole
Chrétienne). Ce mouvement national avait des ramifications
départementales. Dans l'Orne, c'était Pierre
Lemière qui en était le secrétaire. "
La Jeunesse Agricole
Chrétienne était un mouvement d'action catholique
au service des jeunes agriculteurs. Elle a beaucoup
contribué à l'évolution du monde
rural. Les jeunes agriculteurs, ainsi que tous les paysans d'ailleurs,
étaient plutôt considérés
comme des attardés [...]. Le mot paysan était
péjoratif dans le sens de gens pas
évolués - sales - sentant la vache [...]."
"Et
puis, si les paysans connaissaient bien et même
très bien la pratique de leur métier, sur le plan
théorique, ils ne savaient rien ; et pas moyen d'apprendre :
pas de lycées agricoles, pas de maisons familiales."
"A
la JAC nous avons pris le taureau par les cornes - nous avons
créé les cours par correspondance dans l'Orne.
Les répétiteurs c'étaient nous -nous
apprenions en même temps - . Nous avions des
réunions tous les mois. Dans ces réunions nous
méditions sur un passage des Evangiles [...] puis nous
discutions de ce qu'il y avait à faire pour faire
évoluer le monde paysan, pour aboutir à des
réalisations dans nos villages. "Voir - Juger - Agir", telle
était notre devise."
"[...]
Puis la guerre est venue. Les dirigeants sur le plan
départemental étant mobilisés, nous
avions été appelés à les
remplacer [...]. Pendant la guerre, avec l'arrivée des
Allemands, tous les mouvements de jeunes ont été
interdits - ce qui n'a absolument pas retardé notre
activité, au contraire." [Note: Les mouvements
à tendance catholique restèrent
tolérés].
"Nous
avons continué à organiser des
réunions dans tout le département. Nous allions,
en vélo, prendre la parole à des
réunions de jeunes. Nous avons organisé des
fêtes de la terre et de la maison qui rassemblaient les
jeunes et les adultes. Dynamiser les jeunes, leur donner espoir, aider
à leur formation, en faire des hommes capables de
réfléchir et d'organiser eux-mêmes leur
vie, se prendre en charge, c'était là notre but."
Si ce témoignage prend pour cadre le milieu agricole de
l'Orne, il en est de même à Rânes
puisqu'un grand nombre de jeunes se destinaient, si ce
n'était déjà fait, à
l'agriculture. La grande majorité de la jeunesse
rânaise, agriculteurs mais aussi artisans, se
réunissait donc à Rânes tous les mois
pour la JAC.
La JAC de Rânes s'occupera, aidée d'adultes, des
représentations de théâtre à
Rânes dont les recettes allaient servir à l'achat
de colis pour les prisonniers. Chaque année une
pièce était montée suivie de trois ou
quatre représentations dans le patronage de Rânes.
Elles étaient souvent tirées des œuvres
de Labiche. C'est la JAC qui s'occupa de la kermesse de la maison en
septembre 1942. Suzanne Mourez nous annonce le déroulement
de la fête : "
Pour
cette grande fête des dirigeants nationaux de la JAC
étaient venus à Rânes. Le matin il y
avait une messe et l'après-midi les prémices de
la terre étaient présentés et offerts
puis se termina par un grand jeu scénique."
En même temps que la JAC, un renouveau de prières
apparaît dans la petite commune et des gens qui ne croyaient
pas se tournent vers la prière ou participent à
la messe dominicale.
Bien que la JAC n'en fut pas responsable, beaucoup de ses
adhérents appartiennent aux associations sportives de
Rânes. La société "l'Education Physique
de Rânes" assurait les pratiques de l'athlétisme
et du football, tandis que des initiatives individuelles proposaient de
nombreuses promenades à vélo. D'autre part, un
terrain de tennis fut crée à l'initiative d'Henri
Tournet et de Jacques Foccart à la Forêterie ; il
accueillait les notables de Rânes, les fils de
commerçants ainsi que les amis des propriétaires.
Pendant l'occupation, le cinéma est aussi présent
à Rânes puisque
régulièrement un appareil
cinématographique était transporté
d'Ecouché à Rânes à l'aide
d'une carriole. Après des actualités
propagandistes, les Rânais se rappellent des films de Pagnol
: Marius, César, Fanny... ainsi que des "Charlots".
En fait comme l'atteste les différents
témoignages, on s'arrangeait dans la guerre. Comme le
souligne ironiquement Pierre Lemière : "
On n'attendait pas les
subventions pour bouger." Cependant l'occupation met
beaucoup de bâtons dans les roues et les jeunes, les
principaux responsables de cette vitalité, vont commencer
à s'en fatiguer.
...
mais ils sont freinés par l'occupation et le STO
Seul un fervent dynamisme des Rânais pu passer outre aux
contraintes allemandes et administratives. Seul le STO mit un frein
réel à cette jeunesse.
A propos de la JAC, Pierre Lemière raconte que "
cela ne plaisait pas trop aux
Allemands. C'était une forme de résistance. Il y
avait à côté de cela des jeunes qui
collaboraient à fond avec l'occupant : les jeunes de
Pétain. Un beau jour ils ont essayé de nous
récupérer. Ils avaient organisé
à Argentan une fête de la jeunesse rurale
à laquelle nous étions invités
à donner des témoignages. C'était un
piège. Lorsque nous sommes arrivés - Pierre
Peccatte, Robert Haye et moi-même - les entrées
étaient gardées par des miliciens en uniforme.
Nous sommes entrés, après un moment
d'hésitation, nous ne nous sommes pas
dégonflés, bien décidés
à donner nos témoignages en ne mettant pas notre
drapeau de la JAC dans notre poche. D'ailleurs la plupart des gens qui
étaient là appartenaient à la JAC.
Nous avons été applaudis et les organisateurs
faisaient grises mines. Ils ne nous ont jamais redemandé.
Malgré tout nous avons continué notre action mais
nous étions fichés."
A cela il ajoute des problèmes qu'ils ont encourus pour
l'organisation de la grande kermesse de la moisson de Rânes.
Lors de ces fêtes, des épis de blé et
de la farine étaient utilisés pour la
décoration. Cependant ces produits étant
contingentés, tout transport était interdit sans
l'autorisation du maire. Or comme nous l'avons vu
précédemment, le maire de Rânes
était plutôt craintif à
l'égard des Allemands. Il fit tout en sorte pour que Pierre
Lemière, détaché par le groupe de la
JAC de Rânes pour obtenir l'autorisation, ne ressorte de chez
le maire avec celle-ci. Il tenta de saouler, avec réussite
d'ailleurs, le jeune Rânais, cependant la
témérité de ce dernier l'obligea
à signer la permission. Ce n'est qu'après dure
bataille que la kermesse peut se dérouler.
Ce qui va surtout mettre un coup d'arrêt aux efforts des gens
actifs de Rânes sera la mise en place du STO.
"
Laval, le 16
février 1943, mobilisait pour deux ans, trois classes
d'âge que le baby-boom de l'après-guerre avait
bien étoffées : tous les hommes nés
entre le 1er juillet 1920 et le 31 décembre 1922 devaient
partir pour l'Allemagne : le Service du Travail Obligatoire (STO)
était né." [J.P. Azéma
De Munich à la
Libération, p. 211]. Le STO connut en
réalité cinq phases correspondant aux cinq
actions Sauckel, "le négrier européen", qui avait
pour mission de faire venir en Allemagne un grand nombre de
travailleurs. La première action prit le nom de
Relève sous la demande de Pierre Laval le 22 juin 1942. On
assurait qu'un prisonnier Français serait
libéré pour trois travailleurs arrivés
en Allemagne. A Rânes comme ailleurs, la Relève
n'obtint pas le succès escompté. Pierre
Lemière ne se souvient pas avoir vu des gens de sa commune
partir à ce titre. Par contre Charles Serée sera
le seul Rânais à revenir d'Allemagne au titre de
la Relève.
L'année réellement décisive du STO est
1943. Pierre Lemière, un des premiers requis au STO, mais
aussi son premier réfractaire se rappelle : "
lorsqu'en juin 1943 les jeunes
de la classe 42 ont passé une visite avec les Allemands et
certains Français, presque tous les gars sont
passés au travers avec des certificats de médecin
obtenus frauduleusement. Beaucoup avaient les poumons
attaqués. Seuls deux gars furent requis pour le service du
travail obligatoire en Allemagne, tous deux étaient des
membres importants de la JAC. J'étais un de ceux
là."
Plus tard, les autorités Allemandes et leurs collaborateurs
Français passeront outre aux faux certificats de
médecins et de nombreux jeunes Rânais
plutôt que de partir en Allemagne prendront le maquis ou se
feront engager à l'organisation Todt. Il semblerait que peu
de Rânais partirent à l'étranger au
titre du STO.
Le dynamisme qu'a connu Rânes auparavant n'est plus de
vigueur : c'est la fin des fêtes, des réunions de
la JAC. Les nombreux jeunes sont soit camouflés, soit en
Allemagne, soit au service de l'Allemagne en France. La
véritable vitalité de la jeunesse est
entrée au service de la résistance. Le STO semble
donc bien avoir été profitable à de
Gaulle et aux alliés. Il serait intéressant de
voir quelle fut l'opinion publique rânaise à
l'encontre des Allemands, du gouvernement de Vichy et des adversaires
du nazisme.
Extrait
de : Jean-Philippe Bignon,
Rânes pendant la
seconde guerre mondiale
Mémoire (Histoire), Université de Caen, 1994. pp
17-20
L'opinion publique des
Rânais de l'invasion à la veille de la
Libération
Aujourd'hui, plus qu'il y a un demi-siècle, demander aux
gens ce qu'était leur opinion vis-à-vis des
événements nationaux et internationaux reste un
enjeu difficile. Même avec des témoins objectifs
et honnêtes, la libération et les
années ont souvent effacé des idées et
gommé des contraintes ou des agissements qui, au lendemain
de la guerre, étaient encore conformes aux faits encourus.
D'autre part comme le dit Pierre Lemière, les
Rânais ne semblent guère s'occuper de politique,
mis à part quelques irréductibles qui
possédaient la radio ou le journal, on
s'inquiétait davantage de son propre bien-être,
voire des affaires communales. Cependant occulter certains
témoignages seraient préjudiciables à
la compréhension de cette période dans la commune
de Rânes. Pour étudier le thème de
l'opinion publique rânaise, vis-à-vis de
l'occupation d'une part et des événements
nationaux et internationaux d'autre part, nous distinguerons trois
points : les relations avec l'occupant, l'idée que l'on se
fait du régime de Vichy puis l'émergence d'un
espoir : les alliés d'outre-mer et d'URSS.
I)
Vis-à-vis de l'Allemagne et de l'occupant
Le 17 juin 1940, Rânes est traversée par les
troupes allemandes sans qu'un seul coup de feu ne soit
échangé. Trois jours après, la commune
faisait partie de la zone occupée. Dans les semaines qui
suivent, la mairie est placardée d'un certain nombre d'avis,
d'ordonnances et de décrets ayant comme
conséquences : interdictions, ordres et
réglementations. Jusqu'au 15 août 1944, les
Rânais devront vivre à l'heure allemande.
Plusieurs fois en quatre ans des soldats allemands viendront
s'installer à Rânes. Il semble donc
intéressant ici de s'interroger sur les sentiments
rânais vis à vis du IIIème Reich et
l'occupation. Nous essaierons de répondre à
plusieurs questions : est-ce que l'opinion publique a
été réceptive aux Allemands, et si oui
pourquoi ? Comment les Rânais ressentaient-ils l'occupation
et l'occupant ? Et enfin si on peut parler d'une résistance
passive rânaise à l'encontre des troupes ennemies ?
a-
Une population plutôt réceptive aux allemands
Le 22 juin 1940, le gouvernement français
installé à Bordeaux signe l'armistice avec
l'Allemagne. Désormais la France est coupée en
deux : la moitié nord du territoire français et
son littoral sud-ouest sont occupés par les troupes
allemandes, l'autre partie est laissée libre.
Face à la victoire rapide des Allemands sur la France, la
grande majorité des Rânais s'imagine alors que
l'Allemagne est invulnérable. Leur opinion est
appuyée par l'acte d'armistice qui a
été signé à Rethondes
à la demande de celui qui avait "sauvé la France"
lors de la Première Guerre Mondiale : Philippe
Pétain. Désormais certains Rânais,
à l'image du gouvernement installé à
Vichy depuis le 1er juillet, pensent que la meilleure façon
de s'en sortir est de suivre Pétain et de s'appuyer sur
l'Etat germanique. C'est ainsi que l'entendait André Duval,
le boulanger de Rânes. Ceci est soutenu par le
témoignage de Pierre Lemière : "
J'ai connu quelqu'un qui,
lorsque je fus requis au STO m'invita à partir. Comme les
Allemands avaient gagné la guerre il s'imaginait qu'en
s'appuyant sur l'Allemagne on pourrait construire l'Europe."
Il ajoute qu'il n'était ni nazi, ni pro-Allemand. Cependant
c'était un comportement compréhensible
à l'époque dans la mesure où l'on
finissait par s'imaginer que l'occupation allait durer. Hitler
n'avait-il pas dit que le nazisme allait durer mille ans. De plus comme
nous l'avons vu dans la première grande partie, les
Allemands n'ont pas montré d'agressivité
à l'encontre des villageois, ce que ces derniers avaient
toujours craint.
A cela d'autres aspects rentrent en ligne de compte. Pour certains
Rânais, nous raconte Madame Guillouard, la rigueur, l'ordre
et la discipline allemande sont des grandes marques de
dignité. Elles se souvient aussi des
démonstrations allemandes de chants sur la place publique et
de certaines personnes trouvant cela formidable.
Des demoiselles, de leurs côtés,
préféraient au chant les corps de ces grands
hommes blonds. C'est ainsi que Pierre Lemière se rappelle de
deux femmes qui, au départ des Allemands,
laissèrent échapper quelques larmes et d'un
voisin qui, ironiquement, devant ces pauvres femmes en pleurs, leur
proposa son mouchoir.
Cependant certaines apparences peuvent devenir trompeuses comme peut
nous le conter Madame Simone Guillouard, alors institutrice
à Rânes : "
En
temps qu'institutrices, nous étions chargées de
parler aux Allemands. Des soldats de la Wehrmacht venaient
après la classe et nous demandaient de les suivre. On
était jeunes, on avait 22 ans, on ne chercha pas
à les contredire et on allait les écouter jouer
du piano, dans la salle des fêtes. Pour les habitants de
Rânes nous étions avec les Allemands. Or nous ne
pouvions nous dérober, la directrice qui était
plus âgée ne nous défendait
même pas et s'enfermait dans sa classe. Les Rânais,
après quelques mois, oublièrent leur sentiment
injustifié." A l'aide de cet exemple, on se
rend compte que si l'ensemble de la population vit à l'heure
allemande et peut montrer de la sympathie à
l'égard des qualités allemandes, elle ne cherche
pas à lier contact avec l'occupant qu'elle
préférerait savoir en Allemagne.
b-
Nombreux sont les Rânais qui les laissent tranquilles
En réalité, "
on
les laissait tranquilles, c'étaient quand même des
envahisseurs", rétorque Pierre
Lemière. "
Au
début, ajoute-t-il, lorsque les Allemands sont
arrivés on ne pensait pas que l'occupation durerait."
Ne devait-elle pas s'arrêter une fois que serait
signé un acte de paix entre la France et l'Allemagne ? Or
comme nous le savons aujourd'hui, aucun accord de ce genre ne fut
échangé entre les deux nations.
En outre, un sentiment de crainte subsiste. Le portrait type en est le
propre maire de Rânes, Pierre Guillais. Lorsque
l'Organisation Todt vient implanter un relais dans la commune,
l'officier se rendant à la mairie fut accueilli par le maire
au garde à vous. C'est Pierre Lemière qui se
trouvait là au moment qui me conta l'anecdote. Il ajouta que
l'officier avait peu apprécié. Cette crainte se
retrouve aussi à la fin de la période lorsque se
met en place un solide réseau de résistance
à Rânes. Madame Mourez avoue qu'elle et sa famille
avaient peur d'une riposte allemande contre les actes germanophobes de
certains Rânais. Cela devait être le sentiment
d'une grande partie de la population.
En fait, jusqu'en août 1943, pour les villageois,
l'Allemagne, c'est ces soldats de la Wehrmacht envoyés loin
de leur famille et faisant la guerre contre leur gré. Les
Rânais, dans un premier temps, ne condamnaient pas ces
"hommes de terrain" mais plutôt celui qui les avait
envoyés.
Tous les témoignages approuvent la passivité des
Rânais à l'encontre des allemands. Cependant
à partir d'un certain moment, des marques d'opposition se
font sentir.
c-
"Cependant on sentait que l'on n'était plus libre"
Comme nous l'avons vu dans le chapitre sur la vitalité de la
commune, de nombreux jeunes finissent par être
désabusés vis-à-vis des contraintes
imposées par l'occupation. Ils ne sont pas seuls. Si la
majorité des Rânais, hostiles à
l'occupation du fait des réquisitions, des restrictions et
de l'occupation en elle-même, se terre dans son "train-train"
quotidien, d'autres osent montrer leur opposition.
Depuis le début de la guerre, les premiers à
parler fort contre les allemands sont les anciens combattants de
1914-1918. Madame Ferrand dont ce sera le seul témoignage se
souvenait de son beau-père qui racontait à des
soldats d'outre-rhin, au repos dans sa maison, qu'Hitler les trompait
et qu'un jour ils auraient le revers de la médaille. Les
autres à ne pas accepter l'occupation : les jeunes qui
allaient entrer dans le réseau de résistance de
Rânes. Nous aurons tout le quatrième chapitre pour
en faire part.
Autrement, nous trouvons des actions sans danger qui visent
à tourner les Allemands en ridicule. Suzanne Mourez voit
encore certains Rânais se moquer des soldats lorsqu'ils
défilaient dans les rues de Rânes. "
Un 14 juillet, m'avance un autre
témoin, trois hommes sortirent de la messe, le premier
habillé de bleu, le second de blanc et le
troisième de rouge. C'était un acte de
défiance." Ce témoignage ne m'a pas
été confirmé. A Rânes on
n'hésite pas à contourner des
règlements tel le couvre-feu. Après les
réunions de la JAC à Rânes, Pierre
Lemière fit, avec d'autres membres, éteindre les
lampes des Rânais prétendant être
allemand. Enfin, la personne sans doute la plus influente pour une
commune rurale chrétienne, le prêtre
Lévesque savait montrer son dissentiment à
l'égard de l'occupant. Ancien clerc de notaire,
très astucieux et plutôt diplomate, il faisait
prier pour la victoire de la France. Preuve aussi d'une certaine
résistance passive : bien que certains Allemands se
présentèrent à l'église,
les rânais se plaisaient à chanter ces cantiques
patriotiques. Ils savaient qu'il y avait peu de risques de montrer leur
désaccord.
Les Rânais ne s'extériorisent pas. On ne cherche
pas trop, mis à part quelques exceptions, à aller
à l'encontre de l'ordre établi de même
que l'on ne cherche pas à lier amitié avec les
allemands. De plus on remarque que l'Allemagne, aux yeux des
Rânais, c'est avant tout les soldats et loin
derrière Hitler. Dans les divers témoignages il
est très peu fait allusion aux actions
hitlériennes.
On peut se demander si les Rânais montrèrent les
mêmes sentiments à l'égard des
Français de Vichy.
II)
Vis-à-vis du gouvernement de Vichy
Le 16 juin 1940, Pétain remplace Reynaud à la
place de président du conseil. C'est à lui que
revient la charge de former et diriger son gouvernement. Le 22 juin,
cinq jours après son fameux appel, Philippe
Pétain signe par l'intermédiaire du
Général Huntziger, le draconien armistice
proposé par l'Allemagne.
Le 10 juillet 1940, l'Assemblée Nationale vote un texte dont
l'article unique remet le sort de la France et celui du
régime entre les seules mains du Maréchal. C'est
la victoire des antirépublicains, c'est aussi la fin de la
IIIème République Désormais
Pétain avec l'aide de collaborateurs, comme Laval et Darlan,
va rechercher à collaborer avec l'Allemagne.
Pétain et son entourage conservateur espèrent
mettre en place une nouvelle France dont les fondements seraient
"Travail, Famille, Patrie". C'est le projet de la
"Révolution Nationale".
Rânes est en zone occupée mais le
régime de Vichy y conserve ses administrations, ses
préfets et sous-préfets. Comment les
Rânais ont-ils entendu le gouvernement français
légal ? Comment Pétain était-il
ressenti au sein de la population rânaise ?
a-
Un régime qui connaît une mutation du soutien
En 1940, la majorité de la population a vu d'un bon
œil l'entrée au gouvernement du
Maréchal Philippe Pétain. Pour beaucoup de
Rânais, si Pétain, le sauveur de la France en
1914-1918, a signé l'armistice c'est qu'il a vu que
l'Allemagne était trop forte pour être vaincue.
C'est pour cela qu'on le remercie d'avoir épargné
la vie de nombreux soldats dans un combat qui paraissait être
perdu d'avance. D'autre part, les Rânais voient dans les mots
d'ordre du nouveau régime un retour aux traditions si
chère à la Basse-Normandie qui sont l'ordre et la
religiosité.
La population rânaise est encore plus satisfaite lorsqu'elle
entend Pétain vouloir le retour à la terre. On
espère beaucoup du nouveau régime : la fin de la
guerre, l'évacuation des troupes allemandes de France, le
retour des prisonniers. Certains comme André Duval, ancien
combattant de 1914-1918, considère le régime
comme un "moindre mal", si la collaboration est son mot d'ordre pour
sortir la France de la misère il faut suivre l'Allemagne.
Comme me disait Pierre Lemière "
il n'était pas nazi
mais il était pour l'Europe avant l'heure."
Cependant à partir de 1942-1943, avec le retour de Laval et
l'occupation de la zone sud, c'est la rupture dans le soutien au
régime. On commence à faire la
différence entre le "bon Pétain" et le
"méchant Laval". Désormais "
beaucoup de gens sont
déçus du régime". Ce
dernier n'a pas su répondre à leurs souhaits :
les prisonniers ne sont toujours pas revenus, l'occupant est toujours
là, le régime parait inexistant face à
Hitler et ne peut, par conséquent, pas appliquer des mesures
visant à améliorer les conditions de vie des
Rânais. Enfin, les contraintes imposées par
l'occupant se font de plus en plus lourdes à mesure que l'on
s'approche du débarquement. Désormais la radio
dissidente de Londres prend le relais de la collaboratrice
"Radio-Paris". On peut se demander dès lors si la population
rânaise a la même attitude vis-à-vis de
Pétain.
b-
Pétain : un sauveur sans puissance
Les divers témoignages soulignent la présence de
Philippe Pétain et de Pierre Laval dans le gouvernement de
Vichy, cependant les deux hommes n'ont pas la même "cote" de
popularité auprès des Rânais. Au cours
des deux premières années du régime on
constate un certain culte du Maréchal. Comme le souligne
Suzanne Mourez, le chant "Maréchal nous voilà"
aurait accompagné toutes les séances aux
prisonniers. Pierre Lemière est moins catégorique
sur l'étendue de l'interprétation cependant il
reconnaît que 100 % des adultes qui s'y trouvaient
restèrent longtemps maréchalistes.
A partir de 1942-1943, si la majorité des Rânais
devient hostile au régime, vis-à-vis de Philippe
Pétain il n’en est pas de même. Suzanne
Mourez parlant de son père, André Duval, confirme
: "
mon père,
comme bon nombre de villageois, resta pétainiste."
Pourquoi, malgré des conditions de vie de plus en plus
difficiles, les Rânais ne sont-ils pas hostiles au
Maréchal.
Beaucoup pensent, entre 1940-1941, que Pétain ne peut pas
riposter face aux Allemands. Ils ne s'imaginent pas que c'est lui et
son entourage, et non Hitler, qui recherchent la Collaboration.
Après 1942, lorsque les contraintes se font plus dures et
l'occupation plus pesante, la plupart des Rânais voit dans le
pauvre Maréchal le bouc émissaire d'un complot,
c'est Laval et les allemands qui tirent toutes les ficelles. L'autre
argument c'est que "Pétain est trop vieux", il n'est alors
plus responsable.
Pour conclure cette partie il semble intéressant de
s'appuyer sur le témoignage de Pierre Lemière qui
reflète à peu près l'opinion
majoritaire des Rânais. "
Au
début l'opinion était favorable à
Pétain et à Vichy. C'est après 1942
que l'on fait la différence entre Pétain et Laval."
Avant que les Allemands envahissent la zone libre de la France,
Pétain semble à la tête d'un
gouvernement qui donne beaucoup d'espoirs aux Rânais.
Lorsqu'en 1942-1943 le régime se détache du
soutien rânais, l'opinion publique dans sa
majorité voit dans le "pauvre" Maréchal
Pétain, un vieillard de plus de quatre-vingt-cinq ans qui a
fait de son mieux. A Rânes, le régime n'est plus
celui de Pétain mais celui de Laval avec l'aide allemande.
Cependant il faut comprendre que l'on est dans une commune
occupée par les allemands, que la majorité des
décrets sont l'œuvre de l'Etat nazi et que par
conséquent le régime de Vichy parait bien loin
des préoccupations rânaises. La preuve de cette
affirmation ce sont deux femmes rânaises que j'ai
interrogées qui ne savaient plus qui était le
chef
de gouvernement à l'époque. De plus, les actions
que le gouvernement a mené contre les soi-disant ennemis de
la nation n'ont guère marqué les esprits. D'une
part aucun juif ne vivait à Rânes, on ne
connaissait que leur soi-disant "réputation" d'hommes
d'argent ; et d’autre part, sur 1200 habitants sept seulement
votèrent communiste avant 1939, un seul était
véritablement militant. La population rânaise n'a
donc retenu que les mauvaises conditions de vie dans lesquelles elle
est
tombée.
Face au détachement de Vichy, certains regardent d'un bon
oeil l'émergence d'une nouvelle force: les
Alliés et de Gaulle.
III)
Vis-à-vis des Alliés
Jusqu'en 1941, les seuls opposants au régime et à
l'Allemagne nazie sont l'Angleterre et quelques Français
autour du Général de Gaulle. En 1941,
après l'agression de son territoire par les Allemands,
l'Etat soviétique de Staline entre à son tour
dans la lutte contre le nazisme. Décembre 1942,
après la bataille de Pearl Harbor, les Etats-Unis unissent
leurs forces avec celles de I’URSS et de la Grande-Bretagne.
En France, les événements internationaux sont
retransmis de façon opposée par deux grandes
radios : Radio-Londres et Radio-Paris, chacune soutenant l'un des deux
camps. Le régime de Vichy s'oppose à son ancien
allié : le Royaume-Uni, d'autant plus que ce dernier, depuis
le 28 juin 1940 a reconnu le Général de Gaulle
"chef des français libres" alors condamné
à mort par contumace par le gouvernement de
Pétain. A mesure que les alliés se renforcent et
les Allemands faiblissent, les Rânais se font fort de savoir
qui des deux, de Pétain ou de Gaulle, sauvera la France et
avec quel soutien. Nous verrons dans un premier temps quelles ont
été les raisons d'hostilité
à l'encontre des britanniques et des français
dissidents ? Puis comment de l'opposition en sont-ils venus au soutien.
a-
Non à de Gaulle et aux Anglais !!
Le 16 juin 1940, le parti de ceux qui voulait continuer la guerre a
été battu par les partisans de l'armistice. Le 18
juin 1940, le Général de Gaulle lance un appel
à tous ceux qui souhaitent prolonger la lutte avec
l'Angleterre contre l'Allemagne nazie et le futur gouvernement
vichyste. La France, malgré les accords signés
avec les Britanniques, a accepté un armistice
séparé. Dès lors la Grande-Bretagne,
qui poursuit son combat, en vient à ne plus
reconnaître le régime de Pétain et se
rapproche des Français dissidents. Nous verrons dans ce
chapitre quels ont été les sentiments des
Rânais à l'encontre des Alliés de
l'époque et du gouvernement de de Gaulle installé
à Londres.
Jusque dans les années 1942-1943, la majeure partie des
Rânais soutiennent le régime de Vichy et
Pétain. Bien qu'ils connaissent l'existence de de Gaulle par
Radio-Londres, on sait qu'il est condamné à mort
par contumace. Les villageois le considèrent alors comme un
renégat utopiste.
"
Dans un premier temps,
nous avance Suzanne Mourez, on ne croyait pas en la victoire de
l'Angleterre et de de Gaulle, tous seuls face à l'Allemagne."
De plus souligne Pierre Lemière, "
les Normands ne tiennent pas les
Anglais dans leur cœur." Des soldats revenus
à Rânes après la défaite,
comme Jean Bisson, avaient très mal vécu
Dunkerque. Devant cette tentative britannique, André Duval
lance un "
ils nous
tirent dans le dos" bien révélateur.
Dès lors, pour un certain nombre de Rânais, les
Anglais avaient lâché la France. Plus tard,
après l’armistice, les
événements ne joueront guère plus en
leur faveur. Le 3 juillet 1940, les troupes britanniques bombardent la
flotte française à Mers El-Kébir,
l'anglophobie rânaise a atteint son paroxysme. Enfin les
23-25 septembre 1940, la France Libre échoue dans sa
tentative de prendre position en A.O.F. (Afrique Occidentale
Française) à Dakar. A Rânes on ne
comprend pas que des Français se battent contre des
Français. De son côté Radio-Paris en
profite pour montrer le caractère odieux des massacres. "
Cependant, nous
raconte Suzanne Mourez,
ceux
qui possédaient une T.S.F. écoutaient la radio
clandestine quotidiennement et suivaient les combats alliés.
Bien que l'on n'y croyait pas, il restait au fond de nous un espoir
d'être libéré."
b-
Puis de l'opposition, l'opinion est passée à
l'espérance
Plus on s'approche du débarquement, puis les sentiments
pro-alliés se font forts. "
Les actualités de
Radio-Londres font désormais l'équilibre avec
celles de Radio-Paris." Avec le retour de Laval et
l'occupation du territoire français, le régime de
Vichy n'a pas rempli le contrat que semblaient attendre les
Rânais. Désormais on ne pensait plus que
Pétain pourrait rétablir la situation. On se
tourne alors vers le gouvernement de la France Libre
installé à Alger depuis le
débarquement des Alliés en Afrique du Nord.
Madame Mourez raconte que plus on approche du jour J et plus
l'espérance est forte. Les Rânais en ont assez de
l'occupation, ils voudraient revoir les prisonniers de guerre, les
requis du STO qui ont pris le maquis ou la direction de l'Allemagne.
Dès lors que les Alliés ont gagné un
certain nombre de succès, certains Rânais, se
souvient madame Mourez, cachent dans leur malle des drapeaux russes et
anglais.
On constate là encore un revirement d'opinion, on attend
avec impatience le débarquement des troupes
alliées. Plus on s'approche du 6 juin 1944 et plus on y
croit.
Pour conclure ce troisième chapitre, on peut souligner
qu'à mesure que les années passent se met en
place une mutation des sentiments à l'encontre des divers
acteurs de la scène politique nationale et internationale.
Cela reflète bien le caractère type normand
"peut-être bien que oui, peut-être bien que non".
De plus on constate que les Rânais n'aiment guère
se mouiller dans des actions qui leur seraient
préjudiciables.
Les grandes discussions politiques rânaises avaient lieu
entre villageois, cependant peu agissaient dans un sens ou dans
l'autre. Mis à part le réseau de
résistance Foccart, s'il y eut véritablement des
résistants et des collaborateurs ce fut à l'ombre
d'un verre et en parole.
On peut ajouter, et cela peut apparaître
intéressant, si à la Libération on
avait laissé entendre la création d'un
gouvernement Pétain-De Gaulle, me dit Pierre
Lemière, beaucoup de Rânais auraient vu cela d'un
bon œil.
Tandis que Radio-Londres l'emporte sur Radio-Paris, une
minorité de Rânais va entrer activement dans la
résistance. De son côté, on peut
écrire que la collaboration réelle sera plus
économique qu'idéologique.
Extrait
de : Jean-Philippe Bignon,
Rânes pendant la
seconde guerre mondiale
Mémoire (Histoire), Université de Caen, 1994.
Chapitre III
Les
réquisitions
Les logements des troupes, les premières exigences
à leur
arrivée, n'étaient que le début des
réquisitions qui ont duré tout au long
de la guerre.
Après avoir résolu les problèmes
principaux liés au
quotidien, les Allemands se sont mis à
réquisitionner la nourriture au maximum
des possibilités des villageois ne leur laissant que peu de
chose à manger. En
effet, ils prenaient les rations pour toute la troupe en
céréale, pommes de
terre, oeufs, viande, ... Ils s'accaparaient également du
bois, ceci pas
forcément pour les soldats séjournant dans le
bourg, mais également pour tous
les Allemands de la région.
Bien entendu, comme tout le monde sait, les
Allemands ont pris tous les postes T.S.F. ne permettant ainsi aucun
contact
extérieur. Ainsi les villageois devaient amener leur(s)
radio(s) à la mairie
où elles étaient stockées. Il en
était de même pour les fusils afin que
seuls les Allemenands soient armés. Bien entendu, il y a eu
des personnes à
garder leur T.S.F. et à les cacher dans les caves ou dans
les greniers afin de
pouvoir écouter plus tard Radio Londres. Certains ont
également enterré les
armes pour ne pas être démunis contre l'ennemi en
cas de renversement de
situation. D'autres ont donné leur fusil à la
mairie, mais le vieux qui ne
fonctionne plus, tout en gardant précieusement le neuf.
Il y a également eu
des bruits à circuler. En effet, M. Joseph Peccatte raconte
que sa mère comme
beaucoup d'autres villageois a enterré leurs cuivres et
leurs bronzes de peur
que les Allemands les prennent pour les fondre et refaire du
matériel
militaire, et afin de pouvoir récupérer quelque
chose après la guerre en cas
de gros problèmes.
M. Pierre Lemière se souvient également que les
soldats
raflaient le caoutchouc, les pneus, car en effet, c'était
quelque chose de
très rare à trouver et très cher
à payer. Ils prenaient aussi les vélos
mais très peu selon les dires de Mme Roger Catois; elle
ajoute qu'ils les
camouflaient quand même. Pour les transports, ils
s'appropriaient tous
véhicules. Ainsi, les commerçants, seules
personnes avec les épiciers à
avoir une automobile se voyaient-ils confisquer leur moyen de travail.
Mme
Yvonne Gatignol se remémore le moment où les
allemands sont venus prendre la
"Boulangère", voiture commerciale Citroën qui se
trouvait sous le
hangar. Mais ils n'ont jamais réussi à la faire
démarrer. Mme catois se
souvient que son oncle avait caché son automobile sous les
bottes de paille de
la grange où les troupes dormaient.
En ce qui concerne les chevaux et les
bêtes à cornes, le maire recevait l'ordre des
Allemands de mettre à la
disposition de l'occupant un certain nombre de bêtes. De
cette manière, le
maire devait définir qui de la commune était dans
l'obligation de donner sa
bête aux Allemands. Mme Simone Guillouard reconte que
lorsqu'il était
désigné, le fermier devait emmener l'animal en
question à Briouze, Ecouché
ou quelquefois même à Argentan où il
était pris en charge; mais il fallait
faire jusqu'à 20 km (Argentan-Rânes) pour donner
sa bête. Les bestiaux
réquisitionnés étaient
estimés devant commissions, affirme M. Georges
Bouquerel. Les chevaux devaient
également être
contrôlés puisque Mme
Catois dit que les siens n'avaient pas été
emmenés car c'étaient des
poulinières.
M. Lemière parle de ce moment où il a fallu se
détacher des
chevaux. Cet abandon n'était pas seulement affectif ou
économique pour une
simple bête. En effet, M. Lemière, en tant
qu'agriculteur exploitant, voyait
cela comme une grave crise pour les campagnes. Il faut bien avoir en
tête que
toute la vie agricole tournait autour du cheval puisque c'est lui qui
faisait
tous les travaux de force aux champs. Il n'y avait pas de tracteurs; il
fallait
donc un ou deux chevaux pour tirer la charrue, moissonner, herser,
déchaumer.
Cette réquisition des chevaux a donc engendré
beaucoup de problèmes du point
de vue alimentaire. Ces problèmes vont donc se
répercuter sur l'économie
du village.
Nous pouvons ajouter que lors de la débâcle, les
Allemands,
repartant en vitesse, ont volé
(réquisitionné) du bétail (des vaches
principalement) pour les besoins que nécessitait leur retour
jusqu'en
Allemagne.
Mme Guillourd rappelle également qu'il n'y avait pas que des
Allemands à exiger. Il y avait aussi des Français
qui travaillaient pour les
Allemands. "Mais avaient-ils vraiment le choix ?".
Les Allemands
n'exigeaient pas seulement des denrées
matérielles. M. Bouquerel se rappelle
aussi avoir été lui-même
réquisitionné en tant que boucher pour les
besoins
des Allemands. Tous les hommes du village ont dû un jour se
soumettre aux
obligations. En effet, les Allemands, ayant peur des actes de la
Résistance,
ont ordonné à toute la population masculine
d'aller garder les soirs et pour
toute la nuit la voie de chemin de fer Paris-Granville; cela afin
d'éviter le
maximum de sabotages. En effet, les hommes
réquisitionnés le jour même
devaient se rendre "aux Yveteaux sous la direction du charron de
Lougé
[quelques km de Rânes], M. Maingot" (monographie,
voir
ci-dessus). Ils avaient dans la musette de quoi manger
pour la nuit et de
quoi boire... Ils devaient avoir sur eux deux "ordres de
réquisition"
(voir annexe,
reproduits
ci-dessous):
un en français qu'ils laissaient au chef de poste
français et un second en
allemand. Ce dernier, ils devaient le garder sur eux pour le donner
à
contrôler aux soldats allemands durant leur ronde. Cette
ronde consistait à
faire un aller-retour d'environ une heure du poste à un
autre point donné sur
la ligne de chemin de fer. Ces obligations se
répétaient: environ deux à
trois fois par semaine pour le village entier ce qui donnait une fois
par mois
pour chaque homme, affirme M. Peccatte.
Il en était de même pour les lignes
téléphoniques qui étaient
régulièrement coupées par des membres
de la
Résistance. Ces tours de garde sont bien entendu
allés en se multipliant
jusqu'en 1944.
Ainsi, la réquisition allemande a vraiment pesé
dans tous
les domaines aussi bien alimentaires, économiques,
matériels et humains. Mais
les témoins affirment quand même qu'elles n'ont
pas été importantes dans le
village.
Extrait
de :
Claire Forget,
La vie
quotidienne durant la
deuxième guerre mondiale dans le village de Rânes,
1939-1945. Mémoire
de DEUG (Histoire), Université de Caen, 1995. 42 p. + annexes
Ordre
de réquisition individuelle pour la garde de la voie de
chemin de fer
Paris-Granville, établi au nom de Georges
Sérée.
En
français.
Extrait de
: Claire
Forget,
La
vie quotidienne durant la deuxième guerre mondiale dans le
village de Rânes,
1939-1945. Mémoire de DEUG (Histoire),
Université de Caen, 1995. 42 p.
+ annexes
Ordre
de réquisition individuelle pour la garde de la voie de
chemin de fer
Paris-Granville, établi au nom de Georges
Sérée.
En
allemand.
Extrait de
: Claire
Forget,
La
vie quotidienne durant la deuxième guerre mondiale dans le
village de Rânes,
1939-1945. Mémoire de DEUG (Histoire),
Université de Caen, 1995. 42 p.
+ annexes
Graphique
des naissances à Rânes durant la Seconde Guerre
Mondiale
Extrait
de : Jean-Philippe Bignon,
Rânes
pendant la seconde guerre mondiale
Mémoire (Histoire), Université de
Caen, 1994.
Graphique
des décès à Rânes durant la
Seconde Guerre Mondiale
Extrait
de : Jean-Philippe Bignon,
Rânes
pendant la seconde guerre mondiale
Mémoire (Histoire), Université de
Caen, 1994.